A partir de 1891, Marie entame une politique généreuse de dons aux institutions culturelles, à l'enseignement supérieur et plus ponctuellement à des œuvres d'assistance. Grande amatrice d'histoire et d'art, ses centres d'intérêts guident ses choix dans les libéralités qu'elle octroie.
La marquise Arconati-Visconti est qualifiée de « bienfaitrice professionnelle » à sa mort par l’un de ses exécuteurs testamentaires, Gustave Lanson (1857-1934), directeur de l’École normale supérieure.
« Vous étiez toute tendresse, toute générosité. Vous étiez aussi toute simplicité. Vous haïssiez le tapage et la réclame, l'insolence du faste, l'emphase du discours. Vos amis, dans cette réunion suprême respecteront vos sentiments.
[...] Dans le champ illimité du bien à faire, vous aviez choisi le bien que vous vouliez faire. Les Beaux-arts, l'Erudition, la Science, plus particulièrement la France et l'Italie de la Renaissance, la France du XVIIIe siècle, voilà les provinces que votre curiosité aimait à parcourir. Vous avez été l'amie de Machiavel, de Villon, de Rabelais, de Montaigne et de Voltaire.
Vous aviez coutume de vous dire "un étudiant", "un chartiste", et vous l'êtes restée dans votre Marquisat, jusque bien près de vos derniers jours. Votre fine et large culture a fait de vous la bienfaitrice en quelque sorte professionnelle des Musées et des Universités.
[...]
Votre âme tendre exigeait que toutes vos libéralités fussent sous le nom et en l'honneur des personnes que vous aviez aimées, Alphonse Peyrat, votre père ; Raoul Duseigneur ; Liard, tel ou tel autre de vos amis ; pour ces chères mémoires vous dominiez votre aversion de la publicité, et vous désiriez que ses fondations fussent annoncées par la presse, mais toujours à la condition que votre nom disparût derrière les leurs.
Républicaine et philosophe, vous avez vibré pour toutes les grandes idées de notre temps, vous avez aimé la politique - la politique des nobles esprits et des cœurs purs - comme vous avez aimé l'art et la science. Vous avez tout affronté un certain jour, pour la Justice . Et toujours, vérité, justice ou beauté, vous avez aimé chaque ordre de l'idéal dans quelques personnes qui vous les représentaient.
Aux jours brillants de la rue Barbet-de-Jouy, de Balbianello, de Gaesbeck, comme aux jours tristes de la rue Elisée-Reclus, vous avez traversé la vie, entourée d'un cortège d'amis dévoués et fidèles, que votre fervente affection fixait auprès d'elle. Peu à peu la mort vous les prenait, de Gambetta à Jaurès, et de Gabriel Monod à Joseph Reinach. Il y a quelques années, le plus aimé de tous , celui dont l'existence était depuis 25 ans confondue avec la vôtre ---deux étions, n'avions qu'un cœur --- vous fût enlevé. De ce jour vous avez renoncé à la joie, à la vie. Vous vous êtes assise et vous avez attendu la mort. Vous avez fermé les livres ; et vous vous êtes dépouillée. Vous auriez cru trahir l'ami qui vous manquait en vous rattachant à quelque chose... Vous avez éteint toutes les curiosités et toutes les passions de votre âme ardente, du moins vous vous êtes appliquée à les éteindre. Deux passions pourtant sont restées, qui vous ont accompagnée jusqu'au bout sur la voie douloureuse, à travers la détresse morale et la souffrance physique. L'une était l'amour de la France ; jamais votre universel détachement ne vous a détachée de la Patrie, du souci fiévreux de ses épreuves et de ses dangers. Vous avez été une bonne, une grande Française.
[...].
Et maintenant, Marquise Arconati Visconti, fille d'Alphonse Peyrat, notre très chère et très tendre amie, vous êtes entrée dans le repos que vous avez si ardemment désiré depuis 8 ans, dans le repos sans fin que rien ne troublera plus. Vous serez bientôt dans le coin de France que vous avez choisi, tout prêt de l'ami qui emporta votre vie avec lui. Vous avez la paix. Aux amis que vous laissez, appartiendra la douleur de la séparation ---mais la douceur aussi du souvenir.
Adieu. »
Eloge de la marquise Marie Arconati-Visconti, née Peyrat, par Gustave Lanson le 5 mai 1923. AN 201550044/168.
La marquise débute ses libéralités après la mort de son père. Entre 1891 et 1896, ses huit premiers dons sont destinés au Louvre et à l’École des Chartes. Ceux-ci s’intensifient et se diversifient après 1903 puis se prolongent jusqu’à sa mort. L’ensemble se compose d’une centaine de dons dont les principaux bénéficiaires sont les musées et les établissements d’érudition français. On relève différents types de libéralités. Celles-ci peuvent être matérielles ou monétaires, de plus ou moins grande valeur, officielles ou non.
La marquise a souvent expliqué ses donations par sa fidélité à l’éducation reçue de son père : des valeurs (Vérité, Justice…) et centres d’intérêt devenus pour elle des passions intellectuelles, comme l’histoire et les sciences en général.
C’est ce qu’elle exprime dans une lettre adressée au recteur de l’Université de Paris, Lucien Poincaré (1862-1920). Elle y justifie le choix de l’Université de Paris comme son héritière, désir apparu vers 1911 et officialisé en 1917. Auparavant, vers 1880, la marquise souhaitait léguer les deux tiers de sa fortune à son père et fonder un établissement d’assistance à Paris . Puis, de 1891 jusqu’en 1903 au moins, elle envisageait de léguer sa fortune aux musées du Louvre et de Cluny.
« […] J’ai répondu à cet ancien grand maître qui m’avait écrit que j’aurai pu faire de ma fortune un usage plus humain et plus utile : « ce n’est pas mon avis – j’ai cru toujours et j’ai fondé ma vie sur cette croyance – que les œuvres utilitaires n’étaient pas utiles, et que les choses utiles entre toutes, les choses humaines par excellence étaient les lettres et les sciences par lesquelles se crée lentement une humanité supérieure. Il n’y a pas à mes yeux d’établissement philanthropique qui égale en bienfaisance les Universités où s’élaborent les vérités nouvelles et la civilisation de demain [...] »
Des amis proches lui suggèrent des dons ou l’aident à les réaliser. Le prix d’histoire contemporaine, nommé « Alphonse Peyrat » en mémoire de son père, a ainsi été fondé en 1907, notamment grâce à l’aide de Gabriel Monod (1844-1912) et de Louis Liard (1846-1917).
Quelques-unes de ses relations font l’objet de dons commémoratifs, Alphonse Peyrat et Raoul Duseigneur (1845-1916) au premier chef, mais encore Auguste Molinier (1851-1904), Gabriel Monod ou Louis Liard.
Certains, qui ne la connaissent que de réputation, la sollicitent aussi pour des donations. C’est par exemple le cas en 1911 du professeur de littérature italienne en Sorbonne, Henri Hauvette (1865-1935), qui souhaite financer des conférences pour « développer en France le goût et l’intérêt pour les choses d’Italie ».