La condamnation des premiers écrits (1543-1547)

La condamnation

Sentence donnée par le Roi contre maître Pierre Ramus et les livres composés par icelui contre Aristote, 1543 [VCM 6= 6487, fol. 153]

Ramus enseigne depuis six ans dans les petits collèges du Mans, puis de l’Ave Maria, lorsqu’en 1543, il se transforme en dangereux perturbateur du cursus universitaire, avec une double publication : les Aristotelicae animadversiones (Remarques sur Aristote), une satire allègre de la logique d’Aristote, et les Dialecticae institutiones (Institutions dialectiques), où il propose à l’Université de Paris une logique simple et naturelle, alternative à celle des Aristotéliciens. Pierre Galland mène l’attaque qui aboutit à la condamnation des deux ouvrages par l’Université. Antoine de Gouvéa porte l’affaire devant le Parlement de Paris, et le roi François Ier ordonne un débat public qui aboutit à une sentence, prononcée le 1er mars 1544, interdisant à Ramus d’enseigner et de publier de la philosophie. Omer Talon fait un récit circonstancié de l’affaire dans la préface à l’Academia (1547, p. 35-44).

« La sévère et terrible sentence de ces triumvirs [sc. les trois juges aristotéliciens de Ramus], une fois imprimée, est affichée, en latin et en français, non seulement à tous les carrefours de la ville, mais partout où c’était possible ; on joue des pièces en grand apparat, où Ramus est couvert de moqueries et d’attaques en tous genres, sous les applaudissements des Aristotéliciens. »

Omer Talon, Academia, Paris, Matthieu David, 1550, p. 18.

 

Sentence donnée par le Roi contre maître Pierre Ramus et les livres composés par icelui contre Aristote, 1543, [VCM 6= 6487, fol. 155]

 

« Savoir faisons : Que vu par nous le dit avis et eu sur ce autre avis et délibération avec plusieurs savants et notables personnages étant à nos côtés, nous avons condamné supprimé et aboli, condamnons supprimons et abolissons les dits deux livres, l’un intitulé Dialecticae institutiones Et l’autre Aristotelicae animadversiones. Et avons fait et faisons inhibition et défenses à tous imprimeurs et libraires de notre Royaume, Pays, terres et Seigneuries et à tous autres nos sujets de quelque état et condition qu’ils soient, qu’ils n’aient plus à en imprimer ou faire imprimer aucuns, ni publier, vendre ni débiter en notre dit Royaume, pays et seigneuries, sous peine de confiscation des dits livres et de punition corporelle. Soit qu’ils soient imprimés en iceux nos Royaumes, pays, terres et seigneuries, ou autres lieux non étant de notre obéissance. Et semblablement audit Ramus de ne plus lire ses dits livres, ni les faire écrire ou copier, publier ni semer en aucune manière, ni lire en Dialectique ni philosophie en quelque manière que ce soit sans notre expresse permission. Aussi de ne plus user de telles médisantes et invectives contre Aristote ni autres auteurs anciens reçus et approuvés, ni contre notre dite fille l’université et suppôts d’icelle, sous les peines que dessus. »

Petri Rami Veromandui dialecticae partitiones, Paris, Jacques Bogard, 1543 [VCM 6= 6486]

Nelly Bruyère a établi que les Dialecticae institutiones et les Aristotelicae animadversiones, publiées conjointement par Ramus en septembre 1543, qui ont fait l'objet d'une condamnation royale, ont leur origine commune dans une première version manuscrite adressé par Ramus à François Ier, intitulée Dialecticae partitiones. Remaniée et publiée sous le même titre, elle est la matrice des deux publications qui feront l'objet de la condamnation royale : les Dialecticae institutiones et les Aristotelicae animadversiones. Ramus y inaugure deux genres, apodictique (démonstratif) et élenctique (réfutatif), dans lesquels il mêle deux arts : la dialectique et la rhétorique (les deux derniers ouvrages sont montrés ici).

Petri Rami Veromandui Aristotelicae animadversiones, Paris, 1543 [VCR 8= 6514. Pièce 3]
Petri Rami Veromandui Dialecticae institutiones, Paris, 1543 [VCR 8= 6514. Pièce 2]

 

A gauche, c’est l’édition citée dans la condamnation de Ramus par François Ier. Elle correspond à la partie constructive de l’exposition de la dialectique.

 

A droite, il s'agit de la première édition de cet ouvrage qui valut à Ramus sa condamnation par François Ier,avec les Dialecticae institutiones. Nées de la préface du manuscrit et des Partitiones, les Animadversiones ont un caractère polémique inédit.

Ramus se tourne vers l’enseignement des mathématiques

Discours de Ramus sur l’enseignement des mathématiques, 1544 [VCM 8= 6563]

On n'a pas de traces de l'enseignement de Ramus au Collège du Mans avant sa condamnation, en 1544. Cette année-là, il enseigne au collège d’Hubant dit de l'Ave Maria, comme en témoigne le bouquet de discours qu'il publie avec ses collègues qui y enseignent le trivium, Omer Talon et Barthélemy Alexandre. Interdit d'enseigner la philosophie, Ramus se tourne vers un enseignement alors nouveau, celui des mathématiques. Sa seule publication connue sur le sujet est l'Euclides (1545), mais la BIS garde des traces manuscrites de ses lectures et de son enseignement.

Dans ces trois discours prononcés conjointement lors de l’ouverture de l’année universitaire 1544 qui suit l’interdiction, Ramus et ses collaborateurs, Omer Talon et Barthélemy Alexandre, font l’apologie de leurs enseignements respectifs au collège de l’Ave Maria : Talon de la rhétorique, Alexandre du grec, et Ramus des mathématiques (à gauche), comme alternative à l’enseignement de la philosophie qui lui est interdit. Ramus, qui conclut les trois discours, s'affirme déjà comme chef de file.

Notes de cours d’Ammaeus, 1544 [RXVIb 6= 90. Pièce 5]

La BIS possède deux recueils factices, dont l'un comporte des annotations manuscrites de Ramus. Le second présenté ici est constitué de quatre pièces imprimées et d'une pièce manuscrite. La pièce 1 est l’Arithmetica pratica d’Oronce Finé (1544). Les autres pièces sont la Cosmographia de Finé (1542), une édition des Éléments d'Euclide (1545) publiée par Ramus pour un usage scolaire, et les Theoriae novae planetarum de Peurbach (1543). La pièce 5 est constituée par des notes d'élève prises au cours que fit Ramus sur l'Arithmeticum compendium d'Oronce Finé (Pièce 1) le 18 novembre 1544, au collège de l'Ave Maria. Peter Sharratt est le premier à mentionner son existence. C’est un témoignage vivant de l’enseignement des mathématiques par Ramus à l’époque de l’interdiction, fondé sur un ouvrage de Finé paru le même mois (Sharratt, 1966, p. 610).

 

Ramus et Talon au collège de Presles

Ramus, Oratio habita Lutetiae in gymnasio Praeleorum, 1545 [VCR 6= 6513, p. 287]

Lorsque la peste sévit à Paris, Ramus est contraint de quitter la ville. Il y retourne en décembre de cette même année pour s'installer au collège de de Presles, à l'appel de son directeur, Nicolas Lesage. Il prononce et publie son premier cours sur « Le Songe de Scipion », extrait de la République de Cicéron, l'année suivante. Pendant ce temps, Omer Talon publie des Institutions oratoires et des Commentaires sur la dialectique dont les spécialistes s'accordent pour attribuer la paternité – ou l’essentiel de celle-ci – à Ramus. Ramus deviendra principal du collège le 1er décembre 1545 et occupera cette fonction presque jusqu'à la fin de sa vie.

Discours d'installation de Ramus au collège de Presles, dont le directeur, Nicolas Lesage, lui a confié le « gouvernail », à la suite de la peste qui a ravagé Paris et dépeuplé les collèges. Ramus déplore la rigueur des temps et la mort de Johannes Bomontius, qu’il avait choisi comme juge lors du débat public devant le Parlement, puis s’attelle avec alacrité et diligence au relèvement des études. Il annonce enfin que son cours portera, dès le lendemain, sur le commentaire du Songe de Scipion, dont la première édition paraît en effet l'année suivante.

Ramus, Oratio de studiis philosophiæ & eloquentiæ conjungendis, 1549 (1ère éd. 1546) [VCM 6= 6489]

 

Ce discours, prononcé par Ramus le 12 octobre 1546 et publié la même année, marque le début de sa seconde année d'enseignement au collège de Presles et annonce son programme, sous forme d’injonction : la nécessité de conjuguer les études de la philosophie et de l’éloquence. Il oppose la conjonction des deux disciplines à leur confusion, qu’il attribue à Aristote. Le discours sera régulièrement réédité à la suite des Rhetoricae distinctiones.

Talon collabore étroitement avec Ramus, en publiant des Institutions oratoires (1545) qu’il présente comme le pendant imparfait des Dialecticae institutiones de Ramus, en attendant de rédiger des Rhetoricae animadversiones. Il publie surtout, en lieu et place de Ramus frappé par l’interdiction, les Dialectici commentarii (équivalents des Dialecticae institutiones), en 1546. On ne connaît que deux exemplaires de cette très rare édition, où apparaît pour la première fois une section consacrée à la méthode. L’année suivante, Talon publie les Dialecticae praelectiones in Porphyrium, équivalents des Aristotelicae animadversiones.