Des études au combat pour l'égalité

La femme professeur. Carte postale humoristique. Fin XIXes.

Professions réservées

En tentant d'obtenir des diplômes et d'embrasser des carrières jusqu'ici masculines, les premières étudiantes s'exposent à bien des reproches : ambition, individualisme, prétention, exubérance... À travers leurs conquêtes laborieuses, ces pionnières remettent fondamentalement en question de nombreux aspects de la condition féminine.

Si toutes ces femmes n'inscrivent pas publiquement leur démarche personnelle dans un combat plus général, certaines, par le choix de leur sujet d'études ou leur engagement postérieur, montrent clairement leur volonté de changer une situation qu'elles jugent injuste.

C'est ainsi le cas de Julie-Victoire Daubié, dont le combat contre les inégalités sociales et politiques entre hommes et femmes se concentre notamment sur le problème de l'enseignement et de ses débouchés :

« […] on peut donc dire que l’instruction est pour la femme un ornement plutôt qu’un gagne-pain, car l’Université ne lui confie pas la moindre charge ; la médecine l’exclut des applications de cette science, où le bon sens populaire, la morale, l’intérêt social la réclament. »

Julie-Victoire Daubié, La Femme pauvre au XIXe siècle, Paris : De Guillaumin, 1866, p. 3.

La femme docteur. Carte humoristique. Fin XIXes.

L'Anglaise Elizabeth Garrett, avec qui elle est en contact, est également une féministe convaincue qui prend la tête d'un hôpital pour femmes à Londres. La camarade de promotion de cette dernière, l'Américaine Mary Putnam, poursuit une carrière honorable à New-York et s'engage parmi les suffragettes. Si Madeleine Brès doit, par réalisme, se contenter d'une carrière plus modeste, le sujet de thèse défendu par la Polonaise Caroline Schultze, La femme médecin au XIXe siècle, souligne, en 1888, l'actualité de la question.

L'intitulé de la thèse de droit soutenue par Jeanne Chauvin, en 1892, est encore plus parlant : Des Professions accessibles aux femmes, en droit romain et en droit français, évolution historique de la position économique de la femme dans la société. Elle-même lutte longuement avant d'obtenir le droit d'exercer la profession d'avocat.

Ces revendications féminines sont souvent perçues comme de dangereuses transgressions de l'ordre social et naturel, mettant en péril les principales fonctions assignées aux femmes en tant que mères, épouses et ménagères.

Dès lors, c'est sur le statut même de femme que ces pionnières se voient attaquées.

Colette Yver, Princesses de science. Edition Calmann-Lévy de 1923.

Les « cervelines »

Dans la première décennie du XXe siècle, l'écrivain catholique Colette Yver met en scène les difficultés et déboires auxquels s'expose la femme diplômée à travers une série de romans à succès : Les Cervelines (1903), Princesses de science, qui reçoit le prix « Vie Heureuse », ancêtre du Prix Femina, en 1907 et Les Dames du Palais (1909).

Au début du roman Les Cervelines, l'un des principaux personnages masculins définit ainsi cette nouvelle catégorie :

« Les romanciers ont dénoncé le danger des coquettes, le danger des aventurières, le danger des dévergondées ; mais il y a le danger des cervelines qui est peut-être le pire, parce que les autres, au moins, c’étaient des femmes.[...] Celles-là sont des cervelles, de belles petites cervelles..., qui ont gardé de la femme, et de la meilleure, tout, tu entends bien, tout, sauf le cœur, et le cœur, souvent même, sauf l'amour. »

 

La caricature de l'intellectuelle sèche de cœur, incapable d'une vie sentimentale conventionnelle ou négligente de ses premiers devoirs, prend peu à peu place, à la suite d'anciens stéréotypes misogynes comme la « précieuse » ou la « bas-bleu », dont Flaubert donne, vers 1850, la définition suivante :

« Bas-bleu : Terme de mépris pour désigner toute femme qui s’intéresse aux choses intellectuelles. — Citer Molière à l’appui : « Quand la capacité de son esprit se hausse, » etc. »

Gustave Flaubert, Dictionnaire des idées reçues, Paris: Conard, 1910, p. 418.

Paradoxalement, le parcours singulier de Marie Curie n'échappe pas totalement à la grille de lecture de l'époque. Lorsqu'à partir de 1906, elle poursuit les travaux entrepris avec son mari et reprend la chaire de physique en Sorbonne, laissée vacante au décès de celui-ci, l'événement est le plus souvent compris et admiré par ses contemporains comme une preuve de dévouement conjugal, et non comme un signe d'émancipation féminine. Il n'en constitue pas moins un précédent notoire.

Un féminisme « modéré »

Les femmes qui s'engagent sur les chemins de l'université n'appellent pas toutes de leurs vœux une égalité totale. Certaines, comme Léontine Zanta, qui fait l'admiration de la jeune Simone de Beauvoir pour sa réussite « à concilier sa vie cérébrale avec les exigences de la sensibilité féminine », revendiquent un féminisme modéré ou tracent, pour elles-mêmes, une carrière exceptionnelle, sans en désirer la généralisation.

L'afflux d'étudiantes dans la première partie du XXe siècle correspond non seulement à des évolutions sociétales, mais aussi, et peut-être surtout, à l'évolution du contexte économique. Il devient nécessaire, pour les jeunes filles de bonnes familles, de s'assurer un avenir par elles-mêmes.

Au tournant du XXe siècle fleurissent des brochures engageant les mères à donner à leurs filles une éducation et une instruction à même de leur assurer un métier et une activité rémunératrice. Publié en 1904, L'Avenir de nos filles de Gabrielle Réval figure au nombre de ces vade-mecum, énumérant les professions féminines. Agrégée en 1893 après avoir compté parmi les premières diplômées à l’Ecole normale de jeunes filles de Sèvres, Gabrielle Logerot signe, sous le même pseudonyme littéraire, plusieurs romans attirant l’attention sur les jeunes filles engagées dans des études : Les Sévriennes (1900), Lycéennes (1902) ou encore La Bachelière (1910).

 
La grande salle de lecture de la Bibliothèque de la Sorbonne en 1929. A la troisième table, au centre, Simone de Beauvoir, coiffée d'un chapeau cloche, tourne la tête vers l’objectif du photographe.

 

Issue de la haute bourgeoisie désargentée, Simone de Beauvoir est une parfaite représentante de cette génération. Elle témoigne du destin que son père envisage à regret pour ses deux filles, dans les années 20 :

« Heureusement, je n'étais pas vouée à un destin de ménagère. Mon père n'était pas féministe ; il admirait la sagesse des romans de Colette Yver où l'avocate, la doctoresse, finissent par sacrifier leur carrière à l’harmonie du foyer ; mais nécessité fait loi : « Vous, mes petites, vous ne vous marierez pas, répétait-il souvent. Vous n’avez pas de dot, il faudra travailler. ».

Simone de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée, Paris: Gallimard, 2008, p. 138.

 

 

Avant de faire du féminisme un combat personnel, l'auteur du Deuxième Sexe se destine donc à une carrière convenable dans l'enseignement et passe les certificats et licences nécessaires en Sorbonne, jusqu'à l'agrégation de philosophie, et sa rencontre avec Sartre...