Quelques témoignages de la réception de l'œuvre
Premières polémiques
Malgré la prudence de son auteur et les précautions oratoires répétées en diverses parties du Discours de la Méthode, où Descartes assure ne pas vouloir se brouiller avec les "doctes", l'ouvrage ne passe pas inaperçu.
La parution des travaux de Descartes n'entraîne pas seulement de savantes querelles sur des points de physique, de géométrie, ou d'anatomie. À travers le Discours de la méthode et ses Essais, Descartes remet en question toute la scolastique, tradition philosophique à l'œuvre dans les milieux universitaires et religieux, qui concilie les conceptions d'Aristote et le christianisme.
« Et qu'au lieu de cette philosophie spéculative qu'on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux, et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. »
René Descartes, Discours de la méthode..., Leyde, Jan Maire, 1637, p. 62 [orthographe modernisée]
Ses propositions provoquent nombre de réactions aussi bien parmi les catholiques, notamment les Jésuites dont il avait reçu l'enseignement, que parmi les protestants.
«[...] cependant j'ai à me plaindre de ce que les huguenots me haïssent comme papiste et ceux de Rome ne m'aiment pas comme pensant que je suis entaché de l'hérésie du mouvement de la terre. »
Marten Schoock (1614-1669), Admiranda methodus novæ philosophiæ Renati Des Cartes, Utrecht, 1643.
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Ses idées traversent ainsi les cercles académiques et théologiques, non sans quelques remous, notamment aux Pays-Bas, où les propositions du catholique Descartes alimentent les discussions entre différents courants du protestantisme.
L'influence de la pensée cartésienne se fait particulièrement sentir dans les milieux universitaires où elle se propage rapidement.
La querelle d'Utrecht
Gisbertus Voetius (1589-1676), influent prédicateur de l'Église réformée et recteur de l'université d'Utrecht, devient l'un des adversaires les plus virulents de Descartes, dont les thèses sont enseignées par un de ses disciples, Henricus Regius (1598-1679), professeur de médecine et de botanique dans la même université. En contact épistolaire avec Descartes, et parfois en dépit de ses consignes, Regius adopte une ligne de défense polémique de telle sorte que l'affaire s'envenime.
Voetius charge un professeur de l’université de Groningue, Marten Schoock (1614-1669), de préparer une réfutation de la philosophie cartésienne : l’Admiranda methodus, qui paraît en mars 1643. Cette attaque met avant tout en question la méthode cartésienne, expressément accusée de favoriser le scepticisme et l’athéisme. Descartes contre-attaque deux mois plus tard avec la Lettre à Voet (Epistola ad Voetium), jugée diffamatoire par le conseil de la ville d'Utrecht qui le menace de poursuites. L'intervention de l'ambassadeur de France et de plusieurs personnalités influentes de l'université de Groningue finit par le tirer d'embarras.
Johann Clauberg (1622-1665), Defensio cartesiana, ... Amsterdam, 1652
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Défense de la Méthode
Les thèses cartésiennes déclenchent également l'enthousiasme et l'adhésion de jeunes docteurs des universités. Parmi les nombreux partisans de Descartes, l’Allemand Johann Clauberg (1622 -1665), calviniste, apparaît aux yeux de ses contemporains comme l’un des principaux défenseurs et illustrateurs de la philosophie cartésienne.
Après des études entreprises à Brême et poursuivies à Groningue, il découvre le cartésianisme lors d’un séjour à Leyde et en adopte dès lors les principes. Devenu professeur de théologie et de philosophie à Herborn (Allemagne) en 1650, puis à Duisbourg, il s’emploie à favoriser la diffusion de la philosophie cartésienne en écrivant plusieurs ouvrages consacrés au philosophe français.
À travers sa Defensio cartesiana (1652), il répond aux critiques portées contre Descartes dans les traités de Jacobus Revius (Statera philosophiae cartesianae, 1650), alors régent de l’université de Leyde, et de Cyriacus Lentulus (Nova Renati Descartes Sapientia, 1651), qu’il côtoie à Herborn.
Diversement appréciées selon les sensibilités théologiques, culturelles et politiques, les propositions de Descartes sont enseignées, promues ou au contraire fermement combattues et condamnées dans les universités des Pays-Bas, d'Allemagne puis de France.
Nicolas-Joseph Poisson (1637-1710). Commentaire ou Remarques sur la methode de Mr Descartes, 1671
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Commentaires et chronique
Né à Paris en 1637, année de la première parution du Discours de la méthode, l’oratorien Nicolas-Joseph Poisson est lié à plusieurs titres à l’œuvre de Descartes. Traducteur du latin en français, du Compendium musicae (Abrégé de musique), il est également à l’origine de la première publication du Traité de mécanique que Descartes avait communiqué à Huygens en 1637 (Paris : Charles Angot, 1668).
L’« Avis au lecteur », inclus dans son Commentaire sur la méthode de Mr. Descartes, paru en 1671, indique qu’il avait l'intention de donner, à la suite de ce premier volume, un commentaire de toutes les œuvres du philosophe. Toutefois, la philosophie cartésienne faisant toujours l'objet de controverses, il abandonne ce projet sous la pression des supérieurs de son ordre. Dans un dernier avis concluant son essai, il laisse ainsi entendre ses difficultés :
« Néanmoins comme ceux à qui ma condition m'oblige d'obéir, et aux ordres desquels je dois toute sorte de respect et de soumission m'ont donné quelque avis sur ce sujet ; je déclare encore que je ne prétends aucunement défendre non seulement ce que l'Eglise, mais même ce que les moindres universités auraient condamné [...]»
Nicolas-Joseph Poisson (1637-1710). Commentaire ou Remarques sur la methode de Mr Descartes... Paris : Veuve de Claude Thiboust & Pierre Esclassan, 1671, f. Q4
Nicolas-Joseph Poisson aide également Adrien Baillet à rassembler des documents lors de l'élaboration de la première biographie consacrée à Descartes, publiée un peu plus de quarante ans après sa mort. Si elle comporte quelques inexactitudes et partis-pris, la Vie de monsieur Descartes d’Adrien Baillet est connue pour sa minutie, fondée sur l’accumulation de sources, dont certaines ont disparu aujourd’hui.
Adrien Baillet, La vie de Mr Descartes Première partie, Paris, 1691 |
Dans le quatrième livre de l’ouvrage, quatre chapitres sont dévolus aux Discours et aux Essais, s’attachant à suivre la chronologie de leur publication (recherche d’un imprimeur, demande du privilège, sortie des presses...) ainsi que leur diffusion et leur réception dans les milieux savants de l’époque.