Genèse et contexte
L'aboutissement d'une longue démarche
Le Discours de la méthode est le fruit de dix-huit années de travail consacrées à l’élaboration d’une nouvelle philosophie. La longueur de cette gestation est revendiquée par Descartes lui-même :
« Mais, comme en homme qui marche seul, et dans les ténèbres, je résolus d'aller si lentement, et d'user de tant de circonspection en toutes choses, que si je n'avançais que fort peu, je me garderais bien au moins de tomber. »
René Descartes, Discours de la méthode... Leyde, Jan Maire, 1637.p. 18 [orthographe modernisée]
Cultivant volontiers la discrétion et la prudence, Descartes vit retiré depuis plus de huit ans aux Pays-Bas, où il apprécie le climat de relative tolérance religieuse et de liberté d'expression. Tout à ses expériences et observations, il n'en est pas moins en contact avec de nombreux savants, rencontrés lors de ses voyages en Europe. Parmi eux, Marin Mersenne, prêtre de l'ordre des Minimes, avec qui il est ami depuis 1626, aura une influence notable.
L’esquisse au fusain ci-dessus préfigure l’un des neuf panneaux constituant le décor peint du péristyle de l’escalier d’honneur de la Sorbonne. Conçus dans le cadre du projet architectural d’Henri-Paul Nénot, ces panneaux illustrent tous des épisodes de l’histoire des sciences. La scène représente ici Pascal en compagnie de Girard Désargues et du Père Mersenne, exposant à Descartes ses projets d'expérience sur la pesanteur de l'air, place Royale (actuelle Place des Vosges), en 1643.
Le réseau Mersenne
Marin Mersenne (1588-1648) est en effet au centre de l'activité philosophique et scientifique du 17e siècle. Promoteur d'un travail scientifique collectif, il crée en 1635 l'Academia Parisiensis, préfiguration de la future Académie des sciences où se réunissent notamment Mydorge, Carcavy, Pascal et Roberval.
Il entretient par ailleurs une importante correspondance avec la plupart des philosophes ou savants de son époque : Galilée, dont il traduit les Mécaniques en 1634 et les Nouvelles pensées en 1639, Constantin et Christiaan Huygens, Fermat, Torricelli, Gassendi, Hobbes et surtout Descartes.
Grâce à ce réseau et aux liens qu'il a lui-même tissés avec de nombreux érudits et savants, Descartes suit avec attention les développements des idées nouvelles de son temps.
La Bibliothèque de la Sorbonne conserve plusieurs témoignages de ces échanges entre Descartes et Mersenne, en particulier une quinzaine de lettres autographes collectionnées par Victor Cousin, dont deux exemplaires remarquables sont ici présentés.
L'affaire Galilée et ses échos
Le 22 juin 1633, à Rome, le Saint-Office condamne pour hérésie le Dialogue sur les deux grands systèmes du monde (1632) de Galilée et celui-ci se voit obligé d'abjurer publiquement ses thèses sur le mouvement de la terre et sa position par rapport au soleil.
Cet événement a une forte incidence sur la publication des travaux de Descartes.
« Je trouve qu'il philosophe assez bien du mouvement, encore qu'il n'y ait que fort peu de choses qu'il en dit que je trouve entièrement véritable, mais, à ce que j'ai pu en remarquer, il manque plus en ce qu'il suit les opinions déjà reçues, qu'en ce qu'il s'en éloigne. Excepté toutefois en ce qu'il dit du flux et du reflux, que je trouve qu'il tire un peu par les cheveux, je l'avais aussi expliqué en mon monde par le mouvement de la terre, mais en une façon toute différente de la sienne.» [...]
« [...] il m'est impossible de résoudre absolument aucune question de physique, qu'après avoir expliqué tous mes principes, ce qui n'est impossible que par le traité que je me suis résolu de supprimer.»
René Descartes, Lettre à Mersenne, 14 août 1634.
Comme en témoigne cette lettre qui se clôt sur les termes de la condamnation de Galilée, Descartes, favorable aux thèses héliocentristes, renonce à publier sa propre physique telle qu’il l'expose dans son Monde ou Traité de la Lumière (1632-1633). L'ouvrage ne sera publié qu'en 1664, à titre posthume. Conscient de la charge polémique que peuvent contenir certaines de ses propositions, il doit désormais redoubler de prudence.