Les cartes postales pendant la Première Guerre Mondiale
Faces Boches, illustration de CH. Léo, G. Martinière (éd.), Paris
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Des dizaines de milliers de cartes postales ont été produites et expédiées par des soldats et des civils au cours des quatre années du premier conflit mondial : cartes de correspondance militaire, cartes photographiques, bromurines, cartes fantaisie, illustrées… Souvent satiriques ou patriotiques, parfois antimilitaristes, généralement irrévérencieuses, elles sont omniprésentes dans la vie quotidienne pendant la guerre, et constituent alors un véritable enjeu de société.
La presse illustrée et la carte postale
Faces Boches, les brutes asphyxiantes de l’humanité, illustration de Ricardo Flores in La Baïonnette, n°14, 7 octobre 1915 (Source : Gallica/BnF)
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Ce succès de la carte postale s’insère dans un contexte général d’enrôlement de la satire, considérée alors comme un outil de mobilisation efficace, et appréciée de tous les publics pour son impertinence. L’image, en particulier la caricature, diffusée en grande partie par la presse illustrée, joue en effet un rôle actif dans l’opinion, en ce qu’elle cristallise tout un imaginaire de guerre.
Des périodiques comme La Baïonnette (1915-1920) ou Le Rire Rouge (1914-1919), hebdomadaires satiriques français, publient chaque semaine des dessins et caricatures sur la guerre selon l’actualité. Les artistes sont sollicités par ces deux types de production éditoriale, et l’on observe ainsi de nombreux transferts de supports. Les images et les thématiques dialoguent et cristallisent un imaginaire de guerre transversal. Lorsqu’un motif connaît du succès, il est reproduit dans la presse, sur les affiches et les cartes postales, et même recopié par des artistes amateurs.
On peut ainsi observer la similarité des motifs entre la carte postale de CH-Léo ci-dessus et l'illustration de Ricardo Flores ci-contre dans La Baïonnette. La représentation des "Faces Boches" est courante pour jeter le discrédit sur l'ennemi, d'un point de vue militaire comme économique.
Le Manneken-Piss donne la purge à Guillaume, illustration de A. Leschot
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Un média de premier plan
La carte postale s’impose comme un média de premier plan pendant la guerre. Produites à un format standard selon divers procédés d’impression encore mal documentés (chromolithographies, gravures fines, montages photographiques, cartes à systèmes physiques ou optiques, coloriages au pochoir, trucages chimiques, gravures sur bois, cuir ou métal, cartes brodées en soie ou en dentelle…), les cartes, peu chères, sont vendues partout par des camelots ambulants et par le relais des marchands de presse.
Avec la distribution de cartes de correspondance militaire, dispensées d'affranchissement, elles sont omniprésentes au front comme à l’arrière, et ce malgré le renforcement des contrôles exercés par le ministère de la Guerre dès 1915. Les cartes soutiennent donc une intense activité épistolaire et engendrent un engouement général pour la cartophilie, en particulier chez les jeunes filles et les enfants, dont on retrouve parfois des motifs dans leurs propres dessins d’écoliers.
Verso manuscrit de la carte Le Manneken-Piss donne la purge à Guillaume
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« Mardi 29 septembre 1914. […] Ce n’est pas pour la collection de Raymonde, mais elle est drôle. Ne la perds pas. Bien reçu la gentille carte des cochons de Raymonde, elle est très couleur locale. Son petit mot m’a fait très plaisir, je l’ai envoyé à son papa. Je n’ai rien de nouveau. J’espère qu’une de mes nombreuses cartes a pu lui parvenir, car depuis 10 jours, j’en envoie 1 par jour, tantôt au dépôt à son adresse. »
On peut déceler dans cet échange un exemple de la pratique des collections des cartes postales satiriques, ainsi que de la fréquence de la correspondance.
La carte postale satirique se concentre ainsi sur quelques cibles qui, dégradées ou célébrées par la caricature, trouvent un écho dans l’imaginaire collectif de guerre. Les cartes postales proposent une vision anecdotique du combat et de la guerre, tout en s’attardant sur les difficultés du quotidien à l’arrière comme au front, le plus souvent avec humour. Leur iconographie satirique s’insère dans la perspective du « bourrage de crâne » et de la propagande patriotique, belliqueuse et anti-allemande, validée par la censure. Cet attrait général pour la carte postale en Europe engendre de nombreuses pratiques de collections, relativement nouvelles pour cet objet, et lui permet d’acquérir un certain statut dans le domaine de l’illustration imprimée. Cet apogée de la carte postale, atteint entre 1914 et 1918, connaît toutefois un rapide déclin dès la fin des années 1920.